« A quelques détails près… » - Extrait
Il fait nuit lorsqu’on me dépose à Evry. Faire du stop, déjà, c’est galère, mais la nuit, en plus… Ça craint. Avec le pot que j’ai, va savoir sur quoi je vais tomber ?… Vu ce qu’il m’arrive depuis que j’ai mis les pieds dans la gare de mon bled, inutile de jouer au loto en espérant empocher la cagnotte ! Mais bon... Encore quelques kilomètres et je serai à la maison. Plusieurs automobilistes ralentissent mais ne s’arrêtent pas. Ils doivent d’abord avoir un réflexe de bonté, puis se dire que la situation pue et appuyer sur le champignon pour s’en éloigner, comme on fuirait la porte des enfers. Enfin, une âme compatissante me prend à son bord. Mon histoire commence à être rodée. Quand je lui apprends que je n’ai pas une thune, il me répond, en me servant un gentil sourire :
— Ce n’est pas grave. Tu sais, j’ai un fils d’à peu près ton âge et je n’aimerais pas qu’il traîne seul sur le bord de la route. À cette heure, on peut facilement faire de mauvaises rencontres. Allez, monte.
Il a un profil sympathique. Entre trente cinq et quarante ans, bien mis, genre cadre de banque, jeune chef de service à la CAF, à la Sécu ou professeur agrégé : respectable… Un mec que je qualifierai de « normal ». Il a tout de suite compris, sans vouloir en savoir davantage, que je traversais une mauvaise passe…
Enfin un vrai cadeau du Ciel ! Ça me change…
Sauf que, question Bon Samaritain... Au premier chemin forestier qu’il aperçoit, il s’y engouffre, s’enfonce sous les arbres et se gare à l’abri des regards, coupe le moteur de son auto et tous ses feux, nous rendant totalement indécelables et me mettant tout aussi totalement à sa merci.
J’ai dit que faire du stop la nuit, ça craint, eh bien !, je confirme : le mec dévoile ses intentions, moins nobles que celles de rendre service et que, depuis une demi-minute, j’avais devinées, en ouvrant largement sa braguette :
— On peut s’arranger autrement, propose-t-il, avec un clin d’œil putassier…
Hum... Une puissante envie de détaler comme un lapin me prend, of course. J’ai déjà une main sur la poignée de la portière quand il pose la sienne sur l’épaule la plus proche de lui et me parle avec obligeance, si je puis dire…
— S’il te plaît, qu’il supplie. Un service en vaut un autre.
« S’il te plaît » ???? Aucun des mecs que j’ai sucés n’a jamais été aussi courtois ! Après tout, je ne suis plus à une bite près, et si c’est la dernière taxe à payer pour retrouver mon chez moi et ma vie d’ado sans histoires (ce qu’on peut se cacher de vérités sur soi-même, des fois, pour abuser sa conscience et porter convenablement le masque quotidien du mensonge sous le regard des autres, à commencer par ses proches !), pourquoi pas ? Malgré tout, par principe, je tente de négocier.
— Vous savez… Je n’ai jamais fait ça.
Ce qui n’est pas entièrement faux : je ne l’ai jamais fait en forêt et la nuit dans une voiture tous feux éteints.
Mais ça ne le convainc pas de renoncer.
— T’inquiète, mon p’tit lapin. Tous ceux qui le font disent ça. Vas-y ! Je sais que tu en es capable. Mais moi d’abord.
Pendant que j’essaie de comprendre ce qu’il est en train de me dire, il a déjà la main sur ma braguette. Ça, ce n’était pas prévu dans les premiers articles de notre contrat oral. De toute façon, pas le temps d’en ajouter d’autres sur le tas, car il a recours à la méthode directe, déboutonnant mon pantalon sans barguigner, s’exclamant, ravi :
— Eh ! Tu n’as même pas de caleçon ! Tu vois que tu n’es pas si débutant que ça. T’es un drôle, toi ! J’adore ! Mais je te préviens, moi non plus je n’ai pas d’argent.
Qu’est-ce qu’il s’imagine ? Que je suis une pute qui tapine toutes les nuits sur la nationale pour se payer sa dope ou un Perfecto ?